L’insécurité aggrave les pénuries alimentaires au Cameroun

MAROUA, Cameroun, 21 mai 2015 (IRIN)

Il devient de plus en plus difficile de trouver de la nourriture dans l’Extrême-Nord camerounais, disent les habitants de la région, non seulement parce que c’est actuellement la période de soudure, mais aussi parce que l’insécurité due à la présence de Boko Haram a gravement perturbé les activités agricoles et le commerce transfrontalier.

Pas moins de 180 000 habitants de la région pourraient se retrouver en situation de crise alimentaire aigüe cette année, ont averti les organisations humanitaires et les autorités locales. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), le taux de malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans, qui était déjà supérieur au seuil d’urgence de 15 pour cent établi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis janvier, continue de se détériorer.

« La plupart d’entre nous sont sans activité et sans travail depuis un moment », a dit Bairu Habiba, 34 ans et mère de quatre enfants obligée de fuir de chez elle en août 2014 lorsque les attentats de Boko Haram se sont intensifiés dans la région. « En plus, plusieurs produits sont devenus rares et chers en raison des difficultés du commerce transfrontalier. »

La famille de Mme Habiba consommait habituellement trois kilogrammes de riz par jour en moyenne, avec des légumes et de la viande.

Maintenant, ils doivent se contenter d’un kilogramme par jour. Parfois, lorsqu’ils ont la chance de recevoir du riz distribué par le gouvernement ou tout autre organisme, Mme Habiba en cuisine deux kilos.

L’agriculture à la peine

Selon le ministère de l’Agriculture et du Développement rural camerounais (MINADER), plus de 70 pour cent des agriculteurs de l’Extrême-Nord ont déserté leurs champs depuis l’année dernière et bien d’autres encore n’ont pas pu réaliser certaines activités agricoles essentielles, comme faire des semis à temps lors de la dernière saison des semailles. Les départements les plus affectés sont ceux du Mayo-Sava, du Mayo-Tsanaga, et du Logone-et-Chari.

En plus de cela, des réfugiés nigérians occupent maintenant plus de 200 hectares de terrains auparavant utilisés pour l’agriculture.

Selon le MINADER, la production de céréales comme le sorgho, le millet, le niébé et le riz a chuté de plus de 50 pour cent l’année dernière. Seulement 132 000 tonnes de céréales ont été produites en 2014, ce qui est bien inférieur aux besoins annuels de la région, estimés à 770 000 tonnes.

Les étals des marchés sont donc presque vides et de nombreuses familles n’ont pas pu faire assez de réserves avec leurs maigres récoltes.

Dans les zones où il est encore possible de se procurer de la nourriture, les prix ont augmenté. De nombreuses personnes, notamment celles qui se sont retrouvées sans emploi, n’ont donc plus les moyens de se nourrir correctement.

Dans le Mayo-Sava, par exemple, un sac de riz coûte maintenant environ 50 dollars, contre 40 dollars il y a un an. Le prix au kilo du maïs et du millet est passé de 80 centimes de dollar à un dollar.

Même en temps de paix, le nord du Cameroun est une région en proie aux pénuries d’eau et à un climat rude. Selon les estimations, 25 à 30 pour cent des terres seraient stériles. Les précipitations sont inexistantes pendant au moins neuf mois par an et les températures atteignent souvent les 45 degrés Celsius. Il est donc difficile d’arroser les plantations et cultiver la terre sous un tel soleil de plomb est extrêmement pénible.

« Le secret de la lutte contre la faim dans le nord du Cameroun est la maîtrise des nappes phréatiques », a dit à IRIN Mustapha Bakari, agriculteur dans l’Extrême-Nord. En mai, la plupart des puits sont déjà à sec, a-t-il expliqué, et il est nécessaire d’improviser des systèmes d’irrigation en faisant des forages.

Mais le prix d’un forage de 15 mètres de profondeur et de l’installation d’une canalisation et d’une pompe a doublé depuis quelques mois. Selon les habitants, il serait passé de 300 à 600 dollars en raison des difficultés du commerce transfrontalier dues à la présence de Boko Haram.

Pour tirer le meilleur profit d’une eau rendue rare, M. Bakari doit souvent attendre que le soleil se couche pour irriguer son champ de légumes. Mais c’est une solution risquée, car il est dangereux d’être dehors une fois la nuit tombée.

Les plus vulnérables

Selon le PAM, pour les femmes et les enfants, qui représentent 84 pour cent des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) et 75 pour cent des réfugiés dans l’Extrême-Nord, la période de soudure va être particulièrement écrasante cette année. De nombreuses femmes ont perdu leur mari et ont dû le remplacer en temps que chef de famille.

Dans ces communautés, la vulnérabilité des femmes est accentuée par les pratiques culturelles et sociales, qui leur imposent d’effectuer plus de travaux physiques que les hommes. Elles doivent parfois marcher pendant des heures simplement pour trouver de l’eau et de la nourriture.

Le taux de malnutrition chez les PDIP et les communautés d’accueil varie, mais il dépasse souvent les 15 pour cent, notamment le long de la frontière avec le Nigeria.

Un habitant du village de Gadala, proche du camp de réfugiés de Minawao, a dit à IRIN, sous couvert d’anonymat : « Nous devons tout partager avec les réfugiés, même ce que nous n’avons pas en quantités suffisantes, comme l’eau, les terres agricoles, le bois et la nourriture. »

Au centre de santé de Gadala, Zra Mokol, responsable médical, a expliqué qu’il recevait chaque semaine au moins dix cas de maladies liées à la malnutrition, majoritairement des femmes et des enfants déplacés.

« [À] cause de la pénurie alimentaire, de nombreuses femmes se privent de nourriture pour que leurs enfants […] aient assez à manger », a dit M. Mokol à IRIN.

Pourtant, selon le PAM, même en mangeant les rations de leur mère, au moins 19 pour cent des enfants du camp de réfugiés de Minawao souffrent de malnutrition.

Cette année, selon les responsables du camp, près de 400 enfants du camp ont été admis à bénéficier de programmes d’alimentation complémentaire. D’après les dernières données disponibles, 104 de ces cas ont été pris en charge par le centre de santé au cours de la dernière semaine d’avril et 43 autres au cours de la première semaine de mai.

Tentatives d’aide

Un certain nombre d’organisations locales, internationales et gouvernementales ont tenté d’apporter une aide alimentaire à la région, mais l’insécurité rend l’accès aux plus vulnérables difficile et dangereux.

En raison des pénuries de financement au PAM, les PDIP et les communautés d’accueil du Cameroun n’ont pas reçu d’aide pendant près de six mois. Les distributions ont repris mi-avril, mais seulement un quart des PDIP ont pu en bénéficier et l’offre a été réduite à des rations pour 15 jours.

Le PAM estime avoir besoin d’environ 40 millions de dollars pour venir en aide aux quelque 225 000 personnes qui seraient affectées — réfugiés nigérians, PDIP ou membres des communautés d’accueil. Mais son appel n’ayant été financé qu’à hauteur de 20 pour cent, le PAM ne pourra mener ses activités actuelles que jusqu’à la fin du mois de juin.

« Il est extrêmement important que nous recevions assez de fonds pour continuer nos opérations, car, surtout avec les nouvelles arrivées et le fait qu’il y ait déjà des pénuries alimentaires, les réfugiés dépendent entièrement de l’aide alimentaire, même ceux qui sont ici depuis un moment », a dit à IRIN Sofia Engdahl, porte-parole du PAM au Cameroun. « Ils sont arrivés ici sans argent et n’ont pas de travail, alors ils dépendent tous de l’aide alimentaire pour survivre. »

Pour aider à nourrir les communautés de l’Extrême-Nord, le gouvernement a demandé aux habitants du reste du pays de donner de la nourriture et de l’argent. Depuis février, plus de 1,3 million de dollars et plusieurs tonnes de riz, de maïs, d’huile végétale et de sardines ont ainsi été reçus.

Selon le gouvernement, ces denrées ont été distribuées à la fois aux familles touchées par le conflit et à l’armée.

Mais cela est d’autant moins suffisant que le nombre de Camerounais obligés de fuir de chez eux et le nombre de réfugiés nouvellement arrivés continuent d’augmenter.

« Nous voulons rentrer chez nous pour vivre normalement et continuer à cultiver [car] ici les conditions de vie sont difficiles et nous ne pouvons pas compléter notre régime alimentaire », a dit à IRIN Mustapha Bairu, ancien vendeur de pièces détachées de moto déplacé par les attaques de Boko Haram. « Nous dépendons actuellement de la nourriture qui nous est distribuée par charité, mais pendant combien de temps pourrons-nous dépendre de ces dons ? »